“Comment dynamiser le mouvement du ‘gouvernement ouvert’ en essoufflement en Afrique francophone ?”

Maurice THANTAN
7 min readAug 7, 2023
Photo de famille des participants au séminaire PAGOF à Abidjan 19–20 Juillet 2023 ©PAGOF

Cette question qui fait office de titre à ce billet de blog revenait inlassablement lors des sessions (tables rondes, ateliers, échanges informels) du forum PAGOF qui a réuni, à Abidjan (Côte d’Ivoire) les 19 et 20 juillet 2023, près de 200 réformateurs de l’administration et de la société civile de 18 pays d’Afrique francophone. Après avoir participé à la plupart de ces sessions, échangé avec les différentes parties prenantes, quelques pistes optimistes se dégagent au milieu des interrogations empreintes de pessimisme. J’en ai retenu quelques-unes qui me semblent aussi originales que prometteuses dans la perspective de relancer le mouvement du gouvernement ouvert en Afrique francophone.

  • De quel essoufflement parle-t-on ?

Mais avant d’aller dans les détails, il me paraît essentiel de caractériser l’essoufflement dont il s’agit. A ce propos, rappelons que le Partenariat pour un gouvernement ouvert a vu le jour en 2011. En se donnant comme mission de promouvoir le concept de “gouvernement ouvert”, ce partenariat multilatéral s’est donné comme objectifs de favoriser la transparence de l’action publique, notamment via l’ouverture des données publiques, d’améliorer la participation citoyenne à l’élaboration et à l’évaluation des politiques publiques, de favoriser l’intégrité de l’action publique et des agents publics et de s’appuyer sur l’utilisation des nouvelles technologies pour favoriser la redevabilité.

Longtemps circonscrit dans les pays anglophones, le mouvement va s’ouvrir davantage à partir d’autres pays. La dynamique du gouvernement ouvert déjà enclenché dans l’espace anglophone du continent africain, va peu à peu trouver un écho dans les pays francophones. La Tunisie, l’un des premiers pays francophones d’Afrique à adhérer au PGO, rejoint le partenariat en 2014. La Côte d’Ivoire fait le pas en 2015. Le Burkina Faso leur emboîte le pas durant le Sommet mondial du PGO à Paris en décembre 2016.

Après cet événement, la France s’engage, dans son plan d’action national, à appuyer les pays francophones qui le désirent dans leur démarche vers l’adhésion. C’est cet engagement, entre autres, qui va donner naissance au PAGOF. Le Maroc et le Sénégal sont les deux derniers pays francophones d’Afrique à avoir rejoint le PGO en 2018. Le sommet parisien du PGO a donné un écho au mouvement du gouvernement ouvert en Afrique francophone avec une société civile mobilisée et l’avènement du PAGOF. Mais cinq après les adhésions du Sénégal et du Maroc, malgré les progrès, de nouvelles adhésions ne sont pas enregistrées. J’insiste sur les adhésions car chacune d’elle signifie que le pays concerné a rempli les critères d’éligibilité, s’est engagé à travailler avec la société civile et a pris des engagements concrets dont la concrétisation est évaluée à échéance régulière. C’est un point très important qui mérite d’être mentionné.

Pire, ces dernières années la tendance porte à croire que les élans du début sont en train d’être ralentis. Parfois pour des raisons évidentes. Par exemple, la Guinée était l’un des pays proches de l’éligibilité au PGO. Avec l’installation du régime militaire depuis deux ans, le processus patine et les organisations de la société civile manquent d’interlocuteurs. Le Niger, lui, est désormais éligible mais les autorités n’ont pas manifesté l’intention de rejoindre cette communauté de bonnes pratiques. Avec le coup d’Etat intervenu le 26 juillet dernier, il est évident que cela ne se fera pas de sitôt. On peut également citer le cas du Bénin. Le pays a manifesté sa volonté de rejoindre le PGO en 2015. Malgré que des efforts réels soient faits au Bénin dans le sens des valeurs promues par le PGO, huit ans plus tard, il n’est toujours pas encore éligible. Symbole des questionnements qui alimentent le découragement notamment au sein de la société civile, en 2022, le Bénin a manqué d’être éligible pour des raisons de bureaucratie.

A ces exemples, on peut ajouter la tendance globale de restrictions de l’espace civique sur le continent et en Afrique de l’Ouest en particulier, la menace terroriste et les reculs démocratiques qui constituent autant de freins à la pérennisation d’un dialogue franc autour du gouvernement ouvert qui implique nécessairement pouvoirs publics, élus locaux et acteurs de la société civile.

  • Trois leçons tirées du séminaire PAGOF d’Abidjan 2023

Malgré ce contexte difficile, “l’espoir est permis”, comme l’ont répété plusieurs personnes lors des deux jours de séminaire PAGOF 2023 à Abidjan. C’était d’ailleurs l’une des notes positives qui ont marqué le séminaire. Pour voir cet espoir se concrétiser en progrès significatifs, de nombreuses pistes sont envisagées de part et d’autre. Après avoir écouté les uns et les autres, participé à divers débats et discussions, voici les trois leçons que je retiens du séminaire et qui constituent autant de chemins balisés vers une relance de la dynamique du gouvernement ouvert en Afrique francophone.

Une vue des panélistes de la première table ronde su séminaire

— Dépoussiérer le concept du “gouvernement ouvert”

“Dépoussiérer” semble être un gros mot. Mais c’est le terme qui est revenu souvent dans les échanges et suggestions et qui me semble finalement approprié pour résumer la nécessité de (re)clarifier le terme. La particularité du gouvernement ouvert est qu’il convie les pouvoirs publics et la société civile à collaborer dans une relation horizontale pour le bien des populations. Dans la pratique, plusieurs séquences des sessions du séminaire d’Abidjan l’ont illustré à la perfection, les deux parties prenantes entretiennent des antagonismes autour d’un même sujet. La plupart du temps, parce que chacune d’elle, selon sa position, élabore une conception différente de l’ouverture des données, de l’accès à l’information, de la transparence budgétaire, etc. Au final, là où le gouvernement ouvert promeut le dialogue, la confiance et la collaboration, ce sont la méfiance, la réserve et l’exclusion qui s’installent. Dépoussiérer revient donc à faire la lumière sur le concept du gouvernement ouvert afin de les rendre accessibles à tous pour un même niveau de compréhension.

Pour les acteurs de la société civile qui, dans la plupart des pays, sont à l’avant-garde de la démarche, il s’agira aussi de renouveler l’approche du plaidoyer. Comme le dit Tarik Nesh-Nash, responsable du PGO pour l’Afrique et le Moyen-Orient, il est beaucoup plus efficace de “convaincre” un décideur politique avec les retombées positives d’une adhésion de son pays au PGO pour lui et pour son gouvernement que d’argumenter sur la base des obligations et des contraintes qui en découleraient.

Enfin, le dépoussiérage du concept est aussi nécessaire pour avoir une vision claire de l’agenda des politiques de la région. En discutant avec des représentants d’un gouvernement, il m’a été dit que l’adhésion au PGO n’est pas une fin en soi. S’il est vrai que nos pays font partie de mécanismes de promotion de bonne gouvernance, il faut reconnaître que le PGO fait partie des rares partenariats, si ce n’est le seul, qui place la société civile au cœur du dispositif fonctionnel de sa mise en œuvre à tous les niveaux.

Miser sur les collectivités locales

L’un des chemins prometteurs pour dynamiser le mouvement du gouvernement ouvert en Afrique francophone se trouve au niveau des collectivités locales. L’administration locale, par essence, est propice pour l’expérimentation des grands axes du gouvernement ouvert. Plusieurs expériences nous confirment qu’il faut davantage explorer cette piste. AfricTivistes, le réseau des blogueurs et web activistes africains pour la démocratie auquel j’appartiens a, par exemple, mis en œuvre en 2021 un projet dénommé Local OpenGov Lab. Ce dernier a permis d’expérimenter le gouvernement ouvert dans une dizaine de collectivités locales de la sous-région, la plupart dans les pays non adhérents au PGO.

Les conclusions sont simples : pendant que les Etats centraux peinent à faire le pas, la dynamique peut provenir du niveau local. Les collectivités locales ont l’avantage d’avoir des tailles modestes, les élus sont parfois très motivés et surtout la population se sent concernée et peut mesurer les résultats concrets. Or, il est généralement admis que lorsque la population se sent associée à la gestion de la chose publique, la confiance est renforcée ainsi que le civisme sur tous les plans. Le Maroc et la Tunisie ont également de belles expériences dans ce sens qui peuvent inspirer d’autres pays.

Associer davantage les médias

En lien avec la première leçon mentionnée, le gouvernement ouvert souffre d’une forme d’élitisme et gagnerait à être plus popularisé. Pour ce faire, les médias semblent un allié de taille pour plusieurs raisons. La nécessité d’impliquer davantage les médias procède d’un double intérêt au moins. D’abord, les professionnels des médias sont l’un des bénéficiaires de la mise en œuvre du gouvernement ouvert dans notre pays.

En effet, la plupart des pays de la sous région souffre de l’inexistence d’une loi d’accès à l’information aux normes internationales calibrée pour l’ouverture des données et gage de transparence. Autrement dit, le gouvernement ouvert touche directement les médias (au moins en partie) et en tant que pouvoir, ils peuvent être un catalyseur du plaidoyer. Il faut admettre que pour l’heure, cet aspect fait souvent défaut dans les stratégies mises en place dans différents pays.

Par ailleurs, en se saisissant davantage de la question, les médias peuvent être un véritable relais des organisations de la société civile qui, seules, ne peuvent atteindre tous les objectifs dans un délai raisonnable.

Pour conclure, c’est à dessein que j’ai choisi de mettre en avant ces différents points qui, ma foi, semblent sortir un peu du lot. En effet, certains leviers sur lesquels appuyer pour accélérer la mise en oeuvre du gouvernement ouvert en Afrique francophone sont évidents, connus de tous voire intemporels : sensibilisation et éducation, renforcement des capacités institutionnelles, adoption de législations favorables au gouvernement ouvert, promotion de la collaboration et de l’innovation technologique, pour ne citer que ceux là.

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Maurice THANTAN

Journalist - Digital content officer @ortb_info| Project manager @Africtivistes | Interests : #OpenData - #OpenGov - #CivicTech